"Constatation : le sapin est un arbre horizontal !" ~ [Oscar Ravelyn & Abby Kristiensen]

C'était enfin aujourd'hui. Abby avait attendu ce jour comme une gamine attend son anniversaire. Pendant les vacances d'été, elle annonça à son père qu'elle voulait rentrer dans un pensionat ; lui qui travaillait toujours, il s'inquièterait pas, comme ça, et saura que tout va bien -même si elle doutait qu'il s'inquiétait énormément. Depuis la mort de sa mère, Abby insuportait cette maison. Elle ne montait presque plus à l'étage, et avait pratiquement déménagé sa chambre dans le salon ; elle dormait sur le canapé dépliable, faisait ses devoirs dans la cuisine.. Et à chaque fois qu'elle passait devant la chambre, elle ne pouvait s'arrêter, sans en ouvrir la porte, toujours une peur au ventre constante et parcourus de frissons. Tantôt elle s'imaginait qu'elle rentrerait et qu'elle y trouverait encore sa mère, ses boucles blonde tombant en cascade sur ses épaules blanches, ses doigts caressant le piano duquel sortait une douce mélodie. Elle la regarderait de ses grands yeux, les mêmes yeux bleu qu'elle, et lui demanderait si tout allait bien. Abby répondrait que oui, lui sourirait, et repartirait à ses occupations. Tantôt, elle retrouvait la scène, comme la première fois. Sa mère était toujours aussi belle. A moitié allongée sur le petit canapé blanc aux coussins rouges, elle paraissait poser. Elle ne savait jamais si c'était sa mère ou la scène qui se fondait parfaitement en elle ; c'était d'un érotisme, et d'une beauté sans nom. Ses fines lèvres étaient légèrement entre-ouverte, comme dans un soupir, sa main un peu comme derrière sa nuque et sa robe à dentelle était remontée jusqu'au haut de ses cuisses. Un tableau digne de Watteau. Elle ressemblait d'ailleurs un peu à la Nymphe ; il manquait juste le satyre a ses côtés.
Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle pensait à tout cela, quand, dans la voiture, une musique de Mozart ou de Beethoven -elle ne les différenciait pas vraiment- passait depuis déjà quelques bonnes minutes, et que les yeux rivés sur le paysage au-dehors, elle regardait, l'air lasse, défiler les nombreux abres qui en cachaient d'autre. Peut-être parce qu'elle ne reverra sans doute plus jamais ni cette maison, ni cette chambre. Ni sa mère, en quelque sorte. Et ce n'est que quand ils arrivèrent enfin au dit Pensionat Fuku, qu'Abby comprit que son deuil, elle le faisait réellement maintenant.


Ils sortirent tous deux du vieux break Nevada que son père avait acheté il y a bien des années de ça et qu'il a étrangement décidé de ressortir maintenant. C'était maintenant l'heure des adieux. Son père se racla la gorge, et la jeune fille, dans un sourire, se contenta simplement de venir se blottir une dernière fois dans ses bras. Après tout, c'était son père, et quoi qu'il puisse advenir, il allait lui manquer. Elle l'embrassa sur la joue, et mettant sur les épaules sont sac à dos en cuir un peu abîmé -mais auquel elle tenait vraiment-, elle prit sa valise -quoiqu'un peu lourde- par la poignet, et dans un dernier signe de la main, partit, seule.

Elle eut l'impression à ce moment de se trouver dans un film. A la fin, plus précisément. Quand le héro est debout, la tête bien haute, et qu'il fait fasse à une route ou un chemin. Mais pour Abby, tout commençait juste.

Bizarrement, pour cette journée spéciale, Abby ne mît pas sa robe "spéciale". En fait, il y a toujours eu dans le placard de sa mère une jolie robe blanche qu'elle aimait plus que tout, mais que celle-ci ne la laissait pas mettre. Parce que c'était pour "les journées spéciales". A sa mort, c'est une des rare chose qu'elle garda et ne rangea pas au grenier. Elle avait étrangement toujours gardé son odeur ; ou peut-être était-ce juste l'imagination d'Abby ? Quoi qu'il en soit, cette fois, elle ne l'avait pas mise. Elle ne l'avait même pas prise. Elle l'avait simplement étallée sur le petit canapé blanc au coussin rouge de la chambre de musique de sa mère.
Mais elle avait quand même mis une autre jolie robe, blanche. Avec un gilet, évidemment ; elle ne sortait jamais sans un gilet.

Elle regarda son père partir sans aucun regret. Et alors qu'elle allait s'aventurer seule dans ce sinistre chemin ornés d'arbres qui semblaient bouffer toute la lumière, elle apperçut un jeune garçon, sûrement de son âge, s'approcher vers elle. Il était assez grand et plutôt mignon. Abby le salua chaleureusement, et le remercia avec un sourire de l'aider à porter son bagage, mais aucune réponse.. Peut-être qu'il était timide ? Vu la façon qu'il avait de fuir son regard, il y avait des chances. Elle osa un autre sourire, mais il ne parut pas le voir, trop concentré à marcher devant, seul. Pourquoi ne le suivrait-elle pas ? Il semblait être de l'école et n'aspirait aucune méfiance à la jeune fille. Elle était même plutôt contente que quelqu'un l'accompagne ici..
Finalement, elle le rattrappa, et tenta encore le coup :

"Je m'appelle Abby Kristiensen. Et toi ?" Elle avait une tendre voix, assez agréable, et toujours aussi amicale.

Rapidement, une étrange sensation s'empara d'elle. Il y avait de moins en moins de lumière, et les arbres paraissaient se resserer comme les murs d'un mauvais film d'horreur. L'air devenait plus glacial. Quelle idiote faisait-elle aussi, on était plus en été ! Et dire qu'elle n'avait pas grand chose dans sa valise à part des livres, encore des livres, quelques vêtements et d'autres objets, mais pas de quoi tenir chaud. La plus grande partie de ses vêtements avait déjà été transportée à l'internat plus tôt, par son père..
Ils continuaient d'avancer, et le jeune garçon lui répondit enfin. Oscar Ravelyn, qu'il s'appelait. C'était déjà plus original qu'elle ! Ca faisait presque royal.
Abby le suivait toujours, avec une seule pensée : rentrer au plus vite et mettre un bon pull ! Mais voilà que soudainement, Oscar s'arrêta.. Elle allait demander s'il y avait un problème, mais il le lui annonça lui-même, sans même qu'elle ait eu le temps d'ouvrir la bouche. Perdus.. ? Ils étaient.. Perdus ?! C'était pas prévu dans l'emploi du temps, ça !

"Mais.. comment ça, "perdus" ?" Lui demanda-t-elle non sans toujours un petit sourire. Elle remarqua qu'il parut chercher quelque chose, sans doute un portable, qu'il ne trouva pas. Elle sortit alors le siens.. Hmn.. Gémit-elle doucement. J'ai pas de réseau et presque plus de batterie.. Elle le vit qui s'assit dans l'herbe, et posant son sac à dos près de son valise, elle s'appuya contre un arbre. Comme si elle avait sentit son état d'esprit, elle rajouta : Ne t'en fais pas, c'est des choses qui arrivent, on ne peut pas toujours bien connaître un endroit, surtout comme celui-là.."

Il ne semblait pas l'écouter, c'est à peine s'il l'entendait. Elle aurait bien voulu faire quelque chose, mais la seule solution qui lui venait maintenant en tête était de le laisser tranquille. On aurait dit que tout ça l'énervait à un point inimaginable, et Abby s'en voulut presque de l'avoir, en quelque sorte, entraîné là-dedans. Elle se contenta de baisser les yeux ; ne voyant ce qu'elle pourrait faire d'autre, elle attendit, jusqu'à ce qu'il enlève son pull et vienne le lui mettre sur les épaules. Elle avait certes froid, mais elle n'était pas seule, et puis, c'était de sa faute si elle n'avait rien pris.

"Non, reprends-le, et toi.. ? Lui dit-elle un peu gênée. Puis il parut avoir une idée, et alors qu'Abby allait lui demander ce qu'il se passait, elle le vit qui marchait en fixant le sol.. Elle le regarda un peu bizarrement, mais osa enfin et lui dit : Eumh.. Tu as trouvé quelque chose.. ? Mais sa seconde phrase parut la surprendre encore plus et il semblait attendre une réponse. Puis elle se souvint qu'elle encore sa valise et son sac-à-dos : C'est que j'ai ma valise, aussi.."

Oui, sans doute qu'Abby ne mesurait pas la gravité des choses. Comment pouvait-elle le faire ? Ca paraissait être une fôret comme une autre, et dans le pire des cas, ils rentreront quand la nuit cessera.. Mais Oscar ne voyait pas les choses comme ça, apparemment. Il refusa catégoriquement de prendre son pull, alors Abby le remit, et le ressera un peu plus sur elle. Il avait son odeur, qui était assez agréable. Mais pas le temps de s'attarder avec ce genre de choses. L'ambiance devenait de plus en plus lugubre. Et sur le fait de partir aussi il semblait être bien catégorique. Ca ne l'enchantait pas de courir dans une fôret, sa valise à la main, en pleine nuit.. Mais avait-elle d'autre choix ? La réponse était bien évidemment non. Elle n'eut même pas le temps d'hocher la tête qu'il attrappa dans une main la sienne et dans l'autre dans sa valise, et se mit à courir. Abby, son sac à dos sur l'épaule, le suivait.

"Tu sais où on va au moins ?" Demanda-t-elle sans pour autant ralentir.

Elle sourit au vu de son côté protecteur -chose qu'il ne dût pas voir, dans la nuit-, mais ce n'était pas tant pour ça qu'elle s'inquiètait.

"Je veux dire.. Commença-t-elle en s'arrêtant et en l'obligeant de faire de même. Elle lui tenait toujours la main, et reprenant sa respiration, dit : Et si on ne faisait que se perdre encore plus ? Elle baissa un peu les yeux. Cette fois, la peur et l'inquiétude mélangée prenait vraiment le dessus. Elle avait bien compris que c'était dangereux, mais elle avait aussi vu encore sur la route combien la forêt était grande. Abby n'avait ni envie de croiser une quelconque bête, ni de se perdre. Alors elle proposa : On devrait peut-être essayer de trouver un endroit, ou quelque chose, pour la nuit. Si on fait pas trop de bruits, ils nous remarquerons pas, et le lendemain, on pourra plus facilement retrouver le chemin.." Que pouvait-elle proposer d'autre ? Ce n'est pas comme s'ils avaient l'embarras du choix. Elle releva ses prunelles azurées sur lui, et attendit une réponse, resserant un peu plus son pull sur elle.